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Puisque mon coeur est mort - Maïssa Bey




Surgie en 1996, au creux de la décennie qui ensanglanta l'Algérie, avec Au commencement était la mer, la voix singulière et brûlante de Maïssa Bey ne s'est jamais tue depuis. Construisant, romans après nouvelles, une oeuvre traversée par les heurs et malheurs de son pays, peuplée de l'insoumission subversive de ses héroïnes, de leur rage impudente à ébrécher les interdits qui asphyxient la société. Juste pour respirer, ne pas sombrer, exister enfin. Aïda, la conteuse de son roman épistolaire Puisque mon coeur est mort, est de cette trempe. La presque cinquantaine, divorcée, elle partage son existence entre son fils Nadir et ses cours à la fac. « J'ai toujours fait miennes les règles en vigueur dans notre entourage. [...] Je tenais plus que tout à l'image que je voulais donner de moi. Il y allait de ma réputation, de mon honneur. [...]C'est qu'ils sont de plus en plus nombreux, les garde-chiourmes, en ces temps où les forces de la régression sont à l'oeuvre. »

L'assassinat de Nadir par un intégriste revenu du maquis et amnistié, en vertu de la loi de réconciliation nationale, fait imploser son univers, marqué du sceau de la peur du clan, du silence et de l'obéissance aux traditions. « Maintenant, je ne veux plus, je ne veux plus faire semblant. Pour quel enjeu ? Que m'importe l'opprobre, l'exclusion ? Je n'ai plus rien à perdre, puisque j'ai tout perdu. » Alors qu'on attendait ses prières, son acceptation de la volonté divine et de la pseudo-raison d'Etat, elle se met en quête du meurtrier de son fils.

Dialogue avec l'être disparu, le roman chemine entre évocation du passé, dévoilement d'intimités insoupçonnées et mise en mouvement de la vengeance. Solidement arrimé à la réalité algérienne, le texte, porté par une écriture grinçante et lucide, n'en finit pas de la transcender, instillant une réflexion sur le pardon, la haine, la sujétion, le ressentiment d'une jeunesse sacrifiée, l'instrumentalisation de la religion... Une fois de plus, chez Maïssa Bey, le deuil, la désolation se parent d'une vertu maïeutique. La violence accouche une femme nouvelle, qui s'autorise la subjectivité. Et le refus d'obtempérer.

Source : telerama.fr / Marie Cailletet

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